Sommes-nous doués pour transmettre nos inquiétudes à nos patients ?

La relation entre un professionnel de santé et son patient repose en grande partie sur la confiance et la capacité à transmettre des informations de manière constructive. Cependant, il arrive que certains messages, bien que délivrés avec l’intention de protéger le patient, contribuent à entretenir des peurs ou des croyances limitantes. Cet article explore l’impact des conseils et avertissements que les professionnels de santé partagent et la manière dont ces messages peuvent involontairement renforcer des comportements d’évitement qui freinent la récupération fonctionnelle.

Des exemples concrets : quand les mots dissuadent l’activité physique

Dans notre quotidien de praticiens, il est fréquent de rencontrer des patients qui, suite aux recommandations d’autres professionnels, ont modifié leur mode de vie de manière drastique pour protéger leur dos ou leurs articulations.

Exemple du coureur avec une hernie discale
Un patient marathonien, par exemple, s’est vu diagnostiquer une hernie discale via imagerie. Son professionnel de santé lui a conseillé d’arrêter immédiatement la course à pied pour éviter d’aggraver sa condition, et lui a recommandé la natation, mais uniquement le dos crawlé, car la brasse pourrait être nuisible à son dos. Si l’intention est de prévenir la douleur, ce type de recommandation peut toutefois susciter de la peur, renforçant l’idée que son dos est fragile et limitant les possibilités de mouvement.

Exemple d’une patiente souffrant de lombalgies chroniques
Une autre patiente, souffrant de douleurs lombaires chroniques, a reçu pour instruction de ne plus se pencher en avant et d’éviter les rotations du tronc. Ces recommandations l’ont poussée à limiter fortement ses mouvements, convaincue que chaque rotation ou flexion risquait de provoquer des dommages supplémentaires.

Ces exemples illustrent comment les conseils bien intentionnés peuvent conditionner les patients à éviter des mouvements essentiels, créant ainsi une perception de fragilité de leur corps. Cela a un impact direct sur leur vie quotidienne, réduisant leur autonomie et leur confiance en leurs capacités physiques.

La perception de la douleur et la peur du mouvement : un impact négatif

La peur du mouvement, ou kinésiophobie, est un phénomène bien documenté dans la littérature. Elle survient lorsque le patient associe le mouvement à un risque de douleur ou de blessure, ce qui génère de l’appréhension et un évitement de l’activité. Ce cycle de peur et d’évitement est souvent alimenté, en partie, par les messages des professionnels de santé qui cherchent à éviter une récurrence des douleurs.

L’étude de Darlow et al. (2012) révèle que les croyances et attitudes des professionnels de santé peuvent influencer celles des patients, notamment dans le cas de douleurs lombaires. Les messages alarmistes ou restrictifs entraînent une diminution de l’activité physique chez les patients, qui devient souvent difficile à inverser. En effet, lorsque le professionnel transmet ses propres inquiétudes concernant la récupération, il risque d’induire un impact négatif sur le bien-être du patient, limitant son retour aux activités habituelles et même son retour au travail.

L’importance d’un message positif et fonctionnel

Pour éviter d’enfermer les patients dans une spirale d’évitement, il est crucial que les professionnels de santé adoptent une approche encourageante et fonctionnelle face à la douleur. Dans la méthode McKenzie (ou MDT pour Mechanical Diagnosis and Therapy), nous prônons une gestion active et progressive des symptômes, plutôt qu’une simple restriction d’activité.

La rééducation fonctionnelle par le mouvement

L’objectif du MDT est de guider le patient dans l’identification des mouvements et postures qui soulagent ses douleurs, afin de l’aider à reprendre progressivement ses activités sans peur. Contrairement à une approche restrictive, la méthode McKenzie encourage la découverte des mouvements sécuritaires et bénéfiques, permettant au patient de se réapproprier son corps et de restaurer la confiance en ses capacités.

Adopter un discours de rassurance

Les mots que nous utilisons ont un pouvoir immense. En remplaçant les avertissements de restriction par des encouragements et en proposant des alternatives sécurisées, nous aidons nos patients à percevoir leur condition de manière plus positive. Par exemple, au lieu de dire « évitez de courir pour ne pas abîmer votre dos », on pourrait proposer : « explorons ensemble les mouvements qui vous sont confortables pour continuer vos activités physiques sans risque. »

Il est également essentiel de valoriser les petites victoires du patient et de lui rappeler que la douleur ne signifie pas nécessairement qu’il y a un dommage structurel grave. Cette approche d’éducation thérapeutique permet d’atténuer la kinésiophobie et d’encourager la reprise de l’activité.

Conclusion : une responsabilité à bien communiquer

En tant que professionnels de santé, nous avons la responsabilité de transmettre des messages équilibrés et d’éviter d’instaurer des croyances limitantes. Bien que la prudence soit parfois nécessaire, il est tout aussi crucial de ne pas surprotéger le patient au point de limiter son autonomie et de renforcer sa peur du mouvement.

La littérature, notamment l’étude de Darlow et al., montre bien que les approches restrictives et les avertissements constants peuvent entraîner des effets contraires à ceux escomptés, ralentissant la récupération et augmentant la dépendance à l’égard du système de soins.

En privilégiant une approche de rééducation active et en éduquant le patient sur sa capacité de récupération, nous contribuons à une prise en charge plus efficace et plus positive de la douleur. Il ne s’agit pas d’ignorer les signes cliniques, mais d’adopter une communication qui soutient la résilience et l’autonomie du patient face à ses douleurs musculo-squelettiques.

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