Vous maîtrisez votre bilan lombaire, vous connaissez bien la méthode McKenzie, son bilan, son algorithme, ses exercices adaptés et pourtant certaines consultations vous laissent le sentiment amer que tout n’a pas été optimum…

On pourrait vous recommander de continuer de vous former, d’améliorer vos pratiques, votre communication (oui on vous le recommande !) mais Laerum et collaborateurs ont abordé le problème du point de vue des patient.e.s. Et on peut en apprendre beaucoup si on les écoute.

Lærum E, Indahl A, Sture Skouen J. What is “THE GOOD BACK-CONSULTATION”? A combined qualitative and quantitative study of chronic low back pain patients’ interaction with and perceptions of consultations with specialists. Journal of Rehabilitation Medicine. 1 juill 2006;38(4):255‑62.

Ils ont étudié ce qui était perçu comme une bonne consultation de médecins spécialistes par 35 patient.e.s (18 hommes, 17 femmes, 45.5ans de moyenne d’âge allant de 23 à 65 ans).

Ces patient.e.s étaient tous lombalgiques chroniques (durée des symptômes moyen = 2.7 ans, de 6 mois à 7 ans) et avaient tou.te.s été envoyé.e.s consulter un spécialiste par leur médecin généraliste.

Les 14 spécialistes norvégien.ne.s  inclus dans l’étude étaient MPR, neurologues, orthopédistes, ou rhumatologues. Ils étaient tous détenteurs d’une solide expérience clinique et trois d’entre eux avaient même déjà participé à des essais randomisés  dans lesquels un effet positif sur le retour au travail de patients souffrant de lombalgie chronique était associé à un traitement qui combinait des mobilisations et une partie cognitive.

Comment a-t-on fait pour évaluer la « bonne consultation » ?

L’auteur a observé les consultations de ces 35 patient.e.s auprès de ces spécialistes puis il a interrogé les patient.e.s à l’issue de cette consultation. Les données récoltées étaient qualitatives et quantitatives (étude mixte) et ont permis la rédaction de l’article scientifique qui nous sert ici (cf. citation ci-dessus).

Voici les questions qui étaient posées lors l’interview qui suivait la consultation et qui durait de 15 à 20 min.

Qu’avez-vous pensé de la consultation au sujet de :

  • L’examen clinique.
  • Les informations que vous avez reçues sur les raisons pour lesquelles cela fait mal et sur un éventuel diagnostic.
  • Traitement médical et ce que vous pouvez faire vous-même pour aller mieux.
  • Les modes d’information, par exemple l’utilisation de modèles, de métaphores.
  • La manière de faire face à la lombalgie par rapport à leur contexte de vie et leur qualité de vie.
  • Être rassuré.
  • Dans quelle mesure avez-vous été satisfait de cette consultation (satisfaction du patient, note de 0 à 10) ?
  •  D’un point de vue général, quel est selon vous la principale caractéristique d’une bonne consultation pour le dos ?

Qu’en est-il ressorti ?

Voici les résultats principaux de l’étude et nous verrons en détails plus loin pour les plus curieux ce que peut nous dire cet article.

Selon la majorité des patients, la première caractéristique d’une bonne consultation chez un spécialiste est d’avoir été pris au sérieux, c’est-à-dire d’avoir été vu, entendu et cru. Viennent ensuite comme caractéristiques d’une bonne consultation :

  • d’avoir reçu une explication compréhensible de ce qui se passe
  • que le spécialiste ait été à l’écoute des préférences et des opinions des patient.e.s
  • d’avoir reçu de la réassurance (et si possible un pronostic favorable)
  • de savoir ce qu’ils peuvent faire et ce que le soignant peut faire pour les aider

En lisant cela, on peut avoir tendance à croire que cette étude vient enfoncer des portes ouvertes. La question que l’on peut se poser, c’est plutôt de se mettre à la place de nos patient.e.s et de se demander si aujourd’hui chacun a pu se sentir vu, entendu et cru et ce, tous les jours de la semaine avec tous les patients ? Même M. Dupont qui nous dit qu’il a très très mal aujourd’hui alors qu’il bricolait comme un forcené il y a 30 min ?

Est-ce que quand on explique quelque chose à nos patient.e.s, on leur fournit simplement une information ou bien on s’assure que notre explication a été comprise ?

Est-ce que aujourd’hui, j’ai été à l’écoute des préférences et des opinions de chacun de mes patient.e.s ?

Est-ce que chacun d’elles/eux a reçu un message de réassurance de ma part et rassurer sur le fait que le pronostic est favorable (quand il l’est) à chacune de nos séances ?

Enfin, est-il bien clair pour nos patient.e.s de ce qu’il peuvent faire pour s’aider et ce que l’on peut faire pour les aider ?

Cela repose sur 5 questionnements primordiaux pour les patient.e.s, faisant partie de leurs critères pour bénéficier d’une bonne prise en charge et pourtant nous ne sommes pas toujours à fond, pas toujours attentifs, pas toujours patient.e.s, pas toujours en forme, ce qui fait qu’il peut y avoir quelques séances qui nous laissent un sentiment mitigé. L’idée n’est pas une énième injonction a faire toujours plus, toujours mieux, toujours plus à fond pour les patient.e.s en s’oubliant soi. Mais plutôt d’avoir conscience que ce que perçoivent les patient.e.s n’est pas toujours en accord avec ce que l’on pense avoir fourni. Mais ce n’est pas grave ! Juste en avoir conscience cela suffit à engager un mode de communication, celui de montrer qu’on peut être vulnérable et bien intentionné, celui de nous permettre de corriger le tir quand il y a un accroc dans la prise en charge. Bref d’être humain et un bon professionnel en même temps.

Comme le conclue si bien l’étude, « ces résultats peuvent représenter des axes importants d’amélioration des consultations de patients lombalgiques chroniques. ».

Qu’est ce que les auteurs proposent ?

Après avoir observé ces 35 consultations auprès de 14 spécialistes différents, et l’échange direct avec les patient.e.s suivant ces consultations, les auteurs donnent des pistes concrètes sur les principaux axes d’amélioration qui peuvent être envisagés :

  1. Aborder davantage les problèmes psychosociaux et en particulier l’impact des lombalgies sur les activités de la vie quotidienne.
  2. Utiliser davantage de questions ouvertes, notamment lorsqu’il s’agit de problèmes psychosociaux et émotionnels complexes.
  3. Améliorer la structure de la consultation en la divisant en phases distinctes : ouverture, bilan bio-psycho-social et conclusion, notamment en annonçant à l’avance ce qui va se passer lors de l’entretien.
  4. Faire davantage usage, de la reformulation, de la synthèse et de la répétition de ce qui s’est passé pendant la consultation.

Ces différents « conseils » peuvent constituer des idées d’exercices à réaliser avec vos collègues par exemple pour améliorer nos prises en charge dès la première séance.

Et si on creuse un peu l’étude ?

31 patient.e.s sur 35 ont rapporté que l’interrogatoire et l’examen leur avaient semblé complets et satisfaisants même si ils avouaient ne pas avoir les compétences pour le juger.

L’observateur (l’auteur) de ces consultations pointe la cohérence entre ce qu’il a observé et ce que les patient.e.s ont rapporté. Toutefois, il rapporte des observations qui pourrait intéresser les kinés éclairés que nous sommes.

Il note une similarité assez troublante dans la façon de conduire l’interrogatoire et de réaliser l’examen clinique entre les différents praticiens (même « école » de formation des médecins norvégiens ?).

Il note également, qu’un temps important est passé à palper les espaces intervertébraux ainsi que les muscles paravertébraux à la recherche de points douloureux. Et il précisait que toute douleur retrouvée ainsi était utilisée ensuite lors de l’explication sur les mécanismes de la douleur. En parallèle certains patients évoquaient leur inquiétude à ce que le spécialiste conclue que l’examen était normal et que leurs douleurs étaient d’ordre psychologique ou psychiatrique.

Cela peut faire écho à certains de nos patient.e. s qui nous rapportent, en cabinet, l’impression que leurs discours, leurs symptômes n’ont pas été considérés comme authentiques par des professionnels de santé lors de précédentes situations de soins. Par conséquent, ils vont appréhender le regard que l’on va pouvoir porter sur leurs maux, leur histoire.

L’auteur émet, lui, l’hypothèse qu’un.e patient.e lombalgique chronique à certainement vu de nombreux professionnel.le.s de santé dans son parcours de soin, et que de fait il ou elle a certainement reçu des informations contradictoires ou insatisfaisantes. Cela a pu les rendre anxieux et un peu perdus quant à leur pathologie. En outre, pour ces patient.e.s, il est clair que le signal de douleur (e.g lors de la palpation) est souvent associé à l’idée d’une lésion tissulaire et que la conséquence directe peut être un comportement de peur-évitement de nombreux mouvements ou activités impliquant (ou supposés impliquant) le dos.

Tout cela doit nous faire réfléchir sur les données que l’on connait sur les mécanismes (biologiques, psychologiques et sociaux) de la douleur dans le cadre des lombalgies chroniques et la manière dont on peut mettre en parallèle le ressenti patient.e (1), ce que l’on met en évidence lors de l’examen clinique (2) et la façon dont on transmet cela par nos explications à nos patient.e.s (3). On peut être tenté de prendre le chemin le plus court et le plus économique pour accorder ces trois paramètres. Sauf que cela demande peut-être justement du temps, de la réflexion et de la prudence. Ici se dessine donc l’intérêt de soigner sa communication, de choisir ses informations, de s’adapter au patient afin d’éduquer ses patient.e.s de façon optimale.

Egalement, plusieurs patient.e.s ont mis en exergue l’importance d’être bien informé.e.s durant l’examen sur la raison de chaque test et sur ce que les résultats impliquent pour leur situation. Une interaction transparente et une communication axée sur le.la patient.e.s semblent être des composantes essentielles d’une consultation réussie. Si le.la patient.e est laissé.e dans le flou ou s’il.elle ressent que l’explication est trop technique ou évasive, cela peut accroître son sentiment d’incertitude ou même d’inquiétude.

Cette incertitude se manifeste d’ailleurs dans la préoccupation majeure de nombreux.ses patient.e.s : la crainte d’avoir une pathologie sérieuse sous-jacente. Une telle inquiétude est exacerbée lorsque le.la spécialiste ne prend pas le temps de rassurer le.la patient.e ou de lui fournir un pronostic favorable basé sur les résultats de l’examen.

Les problèmes psychosociaux sont également un domaine que l’étude a identifié comme étant souvent négligé. Il est important de se rappeler que la douleur, et en particulier la douleur chronique, ne s’inscrit pas uniquement dans une dimension physique. Les facteurs émotionnels, sociaux et psychologiques jouent également un rôle crucial et prédominant. En ignorant ou en négligeant cet aspect de la consultation, on risque de minimiser la complexité de l’expérience du patient et d’omettre des éléments essentiels pour une prise en charge complète.

De plus, les patient.e.s sont principalement préoccupé.e.s par des questions pratiques : comment peuvent-ils améliorer leur douleur et où peuvent-ils obtenir de l’aide ? En tant que praticien.ne.s, il est essentiel de répondre à ces besoins, en fournissant des directives claires et des ressources utiles.

Enfin, l’organisation et la structure de la consultation elle-même semblent jouer un rôle significatif dans la satisfaction du patient. L’absence d’une phase d’ouverture claire, d’une phase développement et d’une phase de conclusion, toutes bien distinctes, peut laisser le patient se sentir non valorisé ou confus dans sa capacité à suivre les événements se déroulant au cours de la consultation.

En somme, cette étude nous rappelle que, tout en maîtrisant l’art de l’examen clinique, il est tout aussi important de maîtriser l’art de la communication, de l’écoute active et de la compréhension globale des patient.e.s. En plaçant le.la patient.e au cœur de la consultation, nous sommes en mesure d’offrir non seulement des soins de qualité, mais également une expérience qui respecte et valorise l’individu dans sa globalité.

Article rédigé par Julien LOUIS (MKDE) et Benjamin LE MOUTON (MKDE Dip MDT)

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